Nous entrons ici dans la quintessence des vins blancs d’Alsace, les grands crus représentant à peine 4 % de la production de la région et ne pouvant être issus que des quatre cépages nobles : riesling, gewurztraminer, muscat et pinot gris.
Deux exceptions à cela : la possibilité de produire un grand cru de sylvaner sur le terroir spécifique de Zotzenberg, et l’autorisation de produire des grands crus d’assemblage sur les terroirs d’Altenberg, Bergheim et Kaefferkopf.
Les grands crus regroupent des terroirs d’exception, le plus souvent cultivés depuis des siècles, comme en témoigne une première classification des grands crus d’Alsace établie par l’ampélographe Jean-Louis Stoltz et publiée en 1852.
Depuis 1975 et leur création par décret, jusqu’en 2007, pas moins de 51 lieux-dits ont été définis et progressivement intégrés dans l’AOC Grand Cru d’Alsace.
À l’occasion de la délimitation parcellaire de chacun de ces lieux-dits, des documents remontant parfois au Haut Moyen Âge ont permis de découvrir à quel point les luttes d’influence pour la possession de vignes dans les « meilleurs » emplacements sont une histoire très ancienne, opposant généralement riches abbayes et seigneuries locales.
C’est ainsi que le futur roi Dagobert, au VIIe siècle, attribue déjà les vignes prestigieuses du Steinklotz situées à Marlenheim à l’abbaye de Haslach. De nombreux lieux-dits sont ensuite référencés aux VIIIe et IXe siècles, et souvent partagés entre monastères et seigneurs voisins. Citons par exemple Vorbourg à Rouffach, Praelatenberg à Kintzheim, le vignoble de Sigoltesberg (actuel Mambourg) à Sigolsheim ou le Hengst à Wintzenheim. Cette domination souvent conjointe des seigneurs et du clergé local sur les principaux vignobles alsaciens s’est encore renforcée pendant la Renaissance et a perduré jusqu’à la Révolution française.
Ces lieux-dits sont aujourd’hui sanctuarisés et bénéficient chacun d’une appellation d’origine protégée (AOP). Le département du Bas-Rhin en compte 14, les autres grands crus se situant plus au sud, dans le Haut-Rhin.
L’objectif de la réglementation est simple : il s’agit de tout faire pour magnifier la rencontre d’un cépage et d’un terroir remarquable. Ainsi, les rendements autorisés sont très sensiblement réduits afin que le raisin révèle par sa concentration la richesse du terroir sur lequel il s’est épanoui. Une vigne cultivée en Grand Cru doit viser un rendement de 55 hectolitres par hectare seulement, et il n’est pas rare de trouver des rendements inférieurs à 50 hectolitres. L’appellation Grand Cru impose également une récolte manuelle : tout doit être mis en œuvre pour préserver la qualité du vin, qui doit faire l’objet d’un élevage se prolongeant au moins jusqu’au 1er juin de l’année qui suit celle de la récolte.
Globalement, l’AOC Alsace Grand Cru produit des vins concentrés et puissants, très fruités, aux arômes souvent minéraux pour les rieslings, parfois floraux ou épicés pour les gewurztraminers. Ce sont pour la plupart des vins de garde qu’il convient de laisser vieillir au moins 5 ans, voire une dizaine d’années pour une dégustation optimale.