Si l’on parle du Pinot Gris, nous sommes obligés d’évoquer une légende aussi fausse que tenace. Pendant longtemps, on a cru que l’habitude alsacienne de nommer ce cépage tokay ou tokay d’alsace trouvait son origine en la personne de Lazare de Schwendi, général et diplomate, qui servait au 16e siècle le Saint-Empire dans sa guerre contre l’Empire ottoman. Celui-ci aurait rapporté du lieu d’une bataille victorieuse à Tocaj (dans l’actuelle Hongrie) des ceps de vigne pour les planter et les multiplier sur ces terres, dans la région de Kientzheim, certainement dans l’objectif de produire sur ces terres une version alsacienne du célèbre Tokaji, ce vin liquoreux hongrois qui faisait déjà les délices des seigneuries locales et de certaines cours européennes. Cette légende est tellement bien ancrée que vous pouvez aller en admirer la plus belle expression à Colmar, au pied de la statue de Lazare de Schwendi revenant de la bataille, son pied de vigne à la main.
Ce n’est qu’en 2007 que l’usage du mot Tokay sur les bouteilles de vins d’Alsace issus du Pinot Gris fut définitivement interdit, par l’Union Européenne après une plainte portée par la Hongrie en 1984.
Nous savons pourtant, grâce aux travaux de nombreux ampélographes, que le Pinot Gris cultivé depuis des siècles en Alsace n’a rien de commun avec le Furmint, principal cépage à l’origine du célèbre vin hongrois.
En réalité, le Pinot Gris provient de toute évidence de la région de Bourgogne (où il est connu sous le nom de Pinot beurot) et de son cépage phare, le Pinot Noir. Il en est un très proche parent puisque seule la couleur de la membrane des baies les distingue. Mais c’est indéniablement en Alsace qu’au fil des siècles, il a conquis ses lettres de noblesse.
Aujourd’hui le Pinot Gris occupe une part importante du vignoble alsacien puisqu’il représente avec environ 2000 hectares plantés près de 15% de l’encépagement total.
Moins connu, le Pinot gris est également cultivé et vinifié, sous le nom de Malvoisie, dans les Pays de Loire, en particulier dans la région nantaise sous l’appellation Coteaux d’Ancenis.
Notons enfin une production confidentielle de vins blancs à partir de Pinot Gris dans la petite AOC berrichonne Chateaumeillant.
Au-delà de nos frontières, il existe d’autres régions importantes pour la production de ce cépage : le sud-ouest de l’Allemagne (plus de 4000 hectares plantés), la Suisse (plus précisément le canton du Valais où il est connu sous le nom de Malvoisie) et surtout l’Italie où le Pinot grigio constitue le principal cépage utilisé dans la production de vins blancs, essentiellement dans les régions du Nord-Est comme le Veneto. Enfin, quelques vignerons américains se sont lancés récemment dans la culture du Pinot gris en Californie et en Oregon.
Nulle part cependant, il n’atteint l’expression qu’il trouve en Alsace grâce au climat semi-continental qui lui convient si bien.
Le Pinot gris est un cépage précoce, aussi bien pour le débourrement que pour son arrivée à maturité. Il est relativement vigoureux, résistant bien aux froids hivernaux, mais peu productif.
Il affectionne tout particulièrement les sols calcaires assez profonds, bien drainés voire assez secs et surtout bien exposés (sud, sud-est).
Le raisin ne se distingue du Pinot Noir que par la couleur gris-rose à gris-bleu de ses baies. Comme son proche cousin, il est petit, sphérique voire légèrement ovoïde, et présente une peau assez fine qui le rend particulièrement sensible à la pourriture grise. Les grappes sont denses et compactes.
Globalement, le Pinot gris donne des vins plus ou moins concentrés et aromatiques selon les zones où ils sont produits. Dans les zones plus méridionales (Italie, Californie), il donne des vins relativement secs, fruités mais peu charpentés. La faible acidité n’autorise pas une longue garde et donne des vins à la fraîcheur agréable, aux arômes de miel et de fruits exotiques, à boire plutôt jeune.
Dans les zones plus septentrionales, en particulier en Alsace, le même cépage donne des vins beaucoup plus charpentés et gras, plus corsés et aromatiques. En outre, les vignerons ont longtemps veillé, dans leur élevage, à conserver un taux résiduel de sucre important (10 à 12 gr) qui renforçait le côté riche et capiteux du Pinot gris d’Alsace. Cette tendance s’est nettement atténuée ces dernières années pour revenir à des vins plus secs.
Le Pinot Gris donne ici des vins à la robe dorée, voire ambrée. Les vins, qui apprécient un carafage, sont très ronds en bouche, voire opulents. L’onctuosité et le léger moelleux que l’on ressent parfois, surtout si le vin est dégusté jeune, sont toujours équilibrés par une belle fraîcheur. Au nez, il présente des notes fumées et végétales caractéristiques (sous-bois, mousses, champignons), des notes miellées et des arômes fruités prononcés (fruits jaunes, fruits exotiques, citron).
La sensibilité du cépage à la pourriture grise favorise la production de Pinot Gris Vendange Tardive et Sélection de Grains Nobles, issus de raisins botrytisés. Ces vins moelleux, voire liquoreux, à la robe vieil or, renforcent encore les caractéristiques d’onctuosité et la générosité aromatique décrite plus haut, pour dégager de puissantes notes de miel, d’abricot ou de coing en particulier.
Par sa charpente et ses notes épicées, voire fumées, le Pinot Gris d’Alsace s’accorde avec des mets habituellement réservés aux viandes rouges, comme des viandes rôties ou en sauce, veau, porc, gibier, et même des abats (rognons de veau par exemple). Un Pinot gris vous sera souvent suggéré en Alsace pour accompagner le traditionnel Baeckehoffe, aux trois viandes.
Son onctuosité et ses arômes de sous-bois se marient fort bien avec des plats crémeux et automnaux comme un risotto aux champignons ou un velouté aux châtaignes.
Son équilibre entre moelleux et fraîcheur lui permet également de s’accorder parfaitement dans le sucré-salé, comme un foie gras poêlé accompagné d’un chutney d’abricots ou de figues fraîches ou certains plats exotiques d’inspiration indienne ou antillaise (sauté de porc à l’ananas par exemple).