Vins sans âme un peu lourds ou trop sucrés, rendements délirants, pauvreté de la nomenclature des appellations d'origine contrôlée, limitation de l'usage gastronomique des vins à une alimentation régionale, tous les maux passés de la viticulture Alsacienne sont aujourd'hui devenus caduques. Une Alsace nostalgique avec son vignoble de carte postale, a laissé la place à une Alsace résolument tournée vers l'avenir, à la pointe de la révolution de l'agriculture biologique et bio-dynamique, emmenée par une élite de vignerons exigeants et visionnaires, parmi lesquels on peut citer bien sûr les Humbrecht père et fils. L'Alsace des Rieslings sucrés se meurt, l'Alsace des vins dilués vit ses derniers jours, le ballon d'Alsace de nos comptoirs de café n'est plus.
L'Alsace des vins fait aujourd'hui la part belle aux vins secs, précis et minéraux, et pas seulement pour le roi Riesling, mais pour tous les cépages vinifiés, du pinot gris au pinot blanc, du gewurztraminer au muscat.
Cette région possède le sous-sol le plus varié de tous les grands vignobles de l'hexagone, et peut-être du monde : roche volcanique, grès, calcaire, granit, schistes, marnes offrent une variété extraordinaire d'expressions.
L'Alsace n'a que trois appellations d'origine contrôlée à proposer, Alsace, Crémant et Grand Cru, avec quelques variantes autorisées, c'est peu et c'est injuste, mais c'est certainement la conséquence des troubles qu'a enduré la région, de la guerre de 1870 jusqu'aux lendemains de la deuxième guerre mondiale. C’est aussi le résultat, au début du 20e siècle, d'une coupable orientation vers une viticulture résolument productiviste qui a profondément écorné l'image du vignoble, proposant des vins dilués et « gavés » de sucre résiduel pendant une trop longue période.
Mais demain, à n'en pas douter, les grands crus d'Alsace n'auront rien à envier à ceux de la Bourgogne, on verra des étiquettes libellées "Rosacker appellation Grand Cru contrôlée" ou "Appellation Kastelberg Grand Cru contrôlée", parce que tant le Rosacker (calcaire) que le Kastelberg (schiste), sont des expressions de sol uniques, encore plus lorsqu'elles sont défendues par des vignerons de la trempe des Trimbach ou autres Kreydenweiss, l'homme étant bien sûr aussi partie intégrante du terroir.
Il en ira de même pour la plupart des 51 terroirs classés en Grand Cru, du Rangen au Sommerberg, et jusqu'à l'Altenberg de Bergbieten, tout là-haut, au nord de Selestat.
L'évolution de la gastronomie, tant en France qu'en Europe et ailleurs dans le monde, plaide, elle aussi, pour un développement considérable – et parfaitement justifié - de la demande de vins Alsaciens. De l'utilisation de plus en plus répandue des épices (la variété de l'offre de poivres par exemple, est devenue impressionnante), à celle des agrumes ou des légumes racinaires. Il y a aussi la réduction des temps de cuisson, le développement de la cuisine à la vapeur, l'appropriation des cuisines asiatiques par la restauration et par extension dans nos foyers, bref, la carte du monde culinaire a totalement changé et c'est manifestement en faveur des vins Alsaciens.
S'il reste un effort à fournir, c'est de la part de nos restaurateurs et de leurs sommeliers qu'on l'attend, cette indispensable courroie de transmission qui n'a peut-être pas encore tout à fait intégré la victoire éclatante de la révolution viticole Alsacienne.
Le 10 avril dernier, dans les salons de l'hôtel Bristol rue Saint-Honoré à Paris, se tenait une dégustation de l’Association Alsace Crus Terroirs, réunissant 19 vignerons Alsaciens tous situés au sommet de la hiérarchie.
Trimbach, Weinbach, Bott-Geyl, Zusslin, Muré, Barmes-Buecher, Schoffit, Kreydenweiss, bien d'autres encore avec, parmi eux, des noms qui vous sont désormais familiers sur La Route des Blancs comme Ostertag, Boxler, Zind-Humbrecht ou Josmeyer.
Dans cette manifestation réservée aux professionnels, il y avait foule (un peu trop d'ailleurs !), mais le phénomène est oh combien symptomatique de la manière dont est aujourd'hui perçu ce vignoble.
Les Rieslings présentés étaient globalement de très haute volée. Voici cependant quelques-uns de nos coups de cœur. Commençons par le Geisberg 2013 de la Maison Trimbach, supérieur dans ses équilibres au 2014, doté d’une finale proprement fantastique, interminable.
Vient ensuite un superbe quatuor composé du Schlossberg Inédit Cuvée Sainte Catherine 2015 du Domaine Weinbach, pour sa fraîcheur, sa classe folle et la perfection de ses équilibres, du Muenchberg 2015 du Domaine Ostertag, pour la superbe complexité de ses arômes et de ses saveurs épicées, du Kastelberg 2014 du Domaine Kreydenweiss, pour sa floralité élégante, poétique, et pour la droiture de sa finale gorgée d'une très profonde minéralité, et enfin du Brand 2014 du Domaine Zind-Humbrecht, un véritable « uppercut » de sol d'une densité monstre.
Citons également, parmi tous ces très beaux vins, le Rangen Saint Théobald 2014 de Schoffit, excitant et sapide, le Schoenenbourg 2013 de Bott-Geyl, à la sensualité troublante, le Pfintzberg 2014 de Zusslin, puissant et dense, le Hengst 2013 du Domaine Josmeyer, classieux, complexe, minéral et juteux et le Furstentum 2014 d'Albert Mann, aux équilibres parfaits.
Enfin, nous terminerons avec deux vins dans un registre sotto voce, de ces vins intimes qui requièrent une attention particulière et qui ne cessent de vous récompenser au fur et à mesure que vous pénétrez dans leur univers : le Wiebelsberg 2013 du Domaine Kreydenweiss et la cuvée Frédéric Emile de la Maison Trimbach, tous deux classes, profonds et vibratoires.