« L'Alsace, c'est trop compliqué! »
Si la vitalité d'un lieu s'évalue à sa biodiversité alors l'Alsace est une région particulièrement privilégiée. Un climat aux portes de l'Europe continentale, une mosaïque infinie de roches et de sols sur lesquels s'épanouissent huit cépages très différents, une culture au croisement des deux grandes civilisations européennes qui a su prendre le meilleur des deux mondes, tout cela permet de créer une grande variété de vins originaux et authentiques. L'Alsace est effectivement complexe mais n'est compliquée que pour les gens trop pressés; il est vrai que cette espèce est en voie de démultiplication rapide, normal puisqu'ils font tout très très vite... C'est pour faire comprendre cette complexité, que depuis 1985, nous distinguons les vins de Fruit, de Pierre et de Temps. Et depuis, beaucoup nous ont imité et rarement eu l'élégance de nous citer.... C'est toujours pour faciliter la compréhension de nos différents terroirs que nous avons donné à chacun d'entre eux sa propre identité visuelle, afin de transmettre par l'image, langage universel, l'identité du lieu. C'est encore pour répondre clairement à l'angoissante question du sucre résiduel que nous mentionnons Vin Sec sur nos contre-étiquettes. En effet, si ce qui est complexe demande impérativement un effort d'explication afin d'être bien compris , cela ouvre aussi les portes de la passion et de la vraie culture! Ce qui est complexe est à l'image de la biodiversité, à force de trop vouloir simplifier, optimiser,si ce n'est rentabiliser, on en perd l'essentiel: la Vie elle même! Alors vive la complexité et mort aux cons-pliqués!
« L'Alsace, c'est ringard! »
Avec des noms à coucher dehors tels que Gewurztraminer, Breuschwickersheim, Baeckehoffe ou Muenchberg, impossibles à retenir même pour le plus zélé des polyglottes, avec cette bouteille verte inapte aux rangements modernes, dite « flûte du Rhin » entretenant sournoisement la confusion avec les vins d'outre-Rhin, avec sa nature fruitée que le commun des mortels confond invariablement avec sucrée, avec des étiquettes folk-country trônant en têtes de gondoles des pires supermarchés d'ici-bas, on ne peut pas vraiment dire que les vins d'Alsace brillent par leur glamour! Pourtant même si rien n'exaspère plus l'alsaco que d'être confondu avec le teuton, sa place au carrefour des cultures préfigure bien une nouvelle Europe libérée de ses replis identitaires. L'Alsace c'est un « melting pot à la sauce moutarde et raifort » qui pourrait servir de modèle pour une Europe vraiment unie, et dites-moi, vous ne trouvez pas cela d'une actualité brûlante vous? C'est sans doute encore et toujours cette double culture qui fait qu'ici, en Alsace, la conscience environnementale est tout particulièrement développée. En effet 13% des vignes y sont cultivées en « bio » ou en « biodynamie » et avec les conversions en cours, d'ici peu ces chiffres grimperont à 20%, soit un 1/5 du vignoble ce qui fait de l'Alsace l'un des vignobles le plus Greeen de la planète. Et que le siège de Demeter France et la plupart des associations biodynamiques soient situés à Colmar n'est sans doute pas le fruit du hasard, c'est que l'Alsace proche de Dornach et du Goetheanum est vraiment une terre propice aux idées de la biodynamie. Et vous trouvez cela ringard ! êtes-vous vraiment sûr de ne pas confondre l'arrière et l'avant, de la garde ça va sans dire....
« L'Alsace, ça fait mal à la tête! »
Saviez-vous qu'après-guerre et jusqu'à la mise d'origine obligatoire en 1972, une grande partie du vin d'Alsace était embouteillée à Paris-Bercy. Le vin était alors transporté en vrac à Paris et pour ne pas prendre de risque, on le surprotégeait par des doses exagérées de sulfites. Voilà l'origine de cette flatteuse réputation! Depuis les pratiques ont bien changé et les doses ont beaucoup baissé, surtout en bio et davantage encore en biodynamie où les doses autorisées sont nettement inférieures aux règlements CEE. Ainsi pour un vin blanc de moins de 5g/l de sucres résiduels, les teneurs maximales de soufre autorisées seront de 200mg/l en conventionnel, 150mg/l en bio, et 90mg/l en Demeter. Si bien qu'aujourd'hui les vins d'Alsace, du moins chez les meilleurs vignerons, ne contiennent pas davantage de sulfites que les blancs d'ailleurs et peut-être même moins tant ici la rigueur n'est pas un vain mot! Et comme il n'existe pas encore d'alternative satisfaisante au soufre, au domaine nous en limitons l'usage à une très faible dose à la vendange puis à un second apport juste avant la mise en bouteille. Nous venons par ailleurs de mettre en place un essai de stabilisation de quelques vins par du soufre volcanique homéopathique qui semble être une piste prometteuse pour l'avenir. Cette prise de tête sur le mal de tête n'a donc vraiment, mais vraiment plus aucune raison d'être!
« L'Alsace, c'est sucré! »
Et oui, je comprends ces déceptions amoureuses que l'on a tous eues avec un alsace sucré, qu'on croyait sec, et qu'on a voulu marier à un poisson pas forcément nommé Wanda ! Mariage malheureux, mariage non-consommé qui jette un trouble tenace sur la véracité des vins d'Alsace. D'autant plus que la plupart de ces sucres là font office de cache-misère et ne sont que pièges à gogos, tant les vins sont décharnés, dilués si ce n'est chaptalisés. Mais les sucres résiduels se retrouvent aussi dans des vins aux grandes matières, et même si ceux-ci sont naturels et peuvent donc sembler légitimes, ils posent tout de même la question du style des Alsaces actuels. Pour nous, la réponse est claire et sans ambiguïté aucune, nous voulons faire des vins secs mais secs avec des raisins mûrs! Alors comprenons nous bien, il ne s'agit nullement de courir après un sec analytique absolu mais plutôt d'atteindre un sec gustatif où le sucre résiduel disparaît dans la chair du vin gommé par les acides et les sels. Et ce point est généralement atteint lorsque les sucres résiduels dépassent de 2 grammes l'acidité totale d'un vin. C'est cet équilibre que nous recherchons dans tous nos vins, exceptés les Gewurztraminer, et c'est ce qui nous permet d'afficher la mention Vin Sec sur nos contre- étiquettes. Voilà pourquoi nos vins sont de bons et loyaux partenaires à table, parce qu'à la fois secs et charnus, ils sont gourmands, appellent la « redemande » et s'accordent tout à la fois avec poissons, viandes blanches, légumes et fromages.
« L'Alsace, ça ne se garde pas! »
Saviez-vous que le Riesling avait un meilleur potentiel de garde que le Chardonnay? En effet son acidité lui assure naturellement une meilleure conservation mais surtout son élevage à l'abri de l'air préserve son potentiel redox et du coup, c'est comme s'il entrait dans la bouteille avec un supplément d'antioxydant et donc une plus grande capacité à affronter les effets du temps. Bien sûr cela n'a de sens que pour les Riesling de terroir, aux rendements limités et aux structures minérales, qui sauront se complexifier en vieillissant, mais ces vins là se garderont au-delà de 20 ans et surpasseront les meilleurs Bourgognes Blancs. Les grands Pinot Gris ont eux une durée de vie comparable aux grands Chardonnay quant aux Gewurztraminer issus de Vendanges Tardives ou de Sélection de Grains Nobles, grâce à leurs liqueurs naturelles ils se garderont au-delà de 30 ans c'est à dire une éternité comparée à la patience contemporaine!
« L'Alsace c'est pour la choucroute! »
S'il est vrai que la cuisine alsacienne est l'une des plus réputées de France, et que la choucroute en est le plat emblématique, ce serait cependant une grossière erreur d'enfermer le vin d'Alsace en ses seules frontières régionales. Prenez l'exemple de la cuisine contemporaine, dans sa recherche de saveurs épurées et de respect du produit, elle appelle des vins qui savent sublimer cette délicatesse d'approche . Et bien, les vins d'Alsace, par leur finesse aromatique et leur structure acide/saline seront parfaits pour élever et transcender cette cuisine moderne. Mais cela ne s'arrête pas là, car de l'ultra-précision japonaise au mijoté oublié sur le coin du feu en passant par le festival des épices, il y aura toujours un vin d'Alsace pour faire danser l'assiette. Car l'Alsace semble vraiment avoir réponse à tout, tant ses vins sont variés et s'adaptent au cru, au cuit, au fumé, au chaud, à l'épicé, à l'aigre-doux, au sucré-salé, au gras, au maigre..... votre imagination étant votre seule limite. Mais surtout n'oubliez pas les fromages qui vibrent avec le blanc et se désaccordent avec le rouge; pour vous en convaincre faites l'essai avec deux verres côte à côte sur un même fromage, un blanc et un rouge et de préférence dans un verre noir, c'est bluffant! Voilà pourquoi je suis convaincu que les vins d'Alsace sont universels car ils s'accordent avec toutes les cuisines du monde. Et nous emportent bien au-delà de leur choucroute natale!
« L'Alsace, c'est le Pôle Nord! »
C'est un fait incontestable, l'Alsace est située au Nord-Est de la France, soit dans l'imaginaire collectif, dans une zone polaire fort éloignée des plaisirs balnéaires et des bains de soleil! C'est vrai que le vignoble alsacien est le plus continental de France, donc forcément loin de la mer, et comme de plus il est protégé de l'influence maritime par la barrière des Vosges, cela en fait le vignoble le plus sec de France après celui du LanguedocRoussillon. Mais ce n'est pas tout, les saisons y sont aussi très marquées et même si les printemps peuvent être courts, les automnes sont généralement somptueux et du coup parfaitement adaptés à la culture de la vigne, car chacun sait que c'est septembre/ octobre qui fait le vin. N'oublions pas d'ajouter à cela une grande amplitude thermique entre températures diurnes et nocturnes, sans laquelle aucun raisin ne saura acquérir cette finesse et cette complexité aromatique indissociables du grand vin. On le voit, contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'Alsace bénéficie d'un climat idéal à l'élaboration de grands blancs, et si l'on ajoute à cela son incroyable diversité géologique, on se dit qu'il y a là un potentiel unique au monde et bien loin de l'image de « petit blanc acide de climat froid »! En fait l'Alsace, c'est une sorte de vallée idéale, un Eldorado rhénan qui reste à explorer par les « chercheurs d'or blanc »! Et comme le nain Alberich qui a découvert l'or caché dans le Rhin, aux vignerons alsaciens d'extraire l'or de leurs terroirs, non pour le transformer en anneau tout-puissant mais pour l'offrir à boire au monde entier et ainsi permettre à la réalité de surpasser la légende des Nibelungen!
André Ostertag, vigneron à Epfig.