Il n’est pas tâche aisée de parler du travail d’Anselme Selosse, tant ici, tout est singulier. Tous ceux qui ont eu la chance de déguster des champagnes Selosse, et, mieux encore, d’écouter Anselme parler de son travail, savent à quel point c’est une expérience unique. Si l’on devait trouver une analogie à l’approche d’Anselme, désormais solidement épaulé par son fils Guillaume, peut-être pourrait-on se tourner vers le travail d’un chercheur, combinant l’empirisme de la démarche, la rigueur intellectuelle mais aussi la créativité sans laquelle aucune découverte ne serait possible.
Depuis son arrivée dans les années 1970, au domaine créé par son père Jacques, Anselme n’a eu de cesse de démontrer que les champagnes pouvaient (et devaient) être avant tout de grands vins de terroir. Car, pour Anselme, au commencement et à l’arrivée, il y a le terroir… et l’eau, cette eau dont la pureté doit rejaillir dans le vin, cette eau qui porte en elle tous les marqueurs minéraux du sol et du sous-sol. Proche de la philosophie d’une « agriculture naturelle », développée par le célèbre agronome japonais Fukuoka, Anselme considère le rôle de viticulteur comme celui d’un « accompagnateur », d’un « observateur », qui doit comprendre au mieux et surtout respecter l’harmonie du terroir, sans jamais chercher à s’imposer. Comme il le dit lui-même, il ne veut pas « coloniser la vigne ». Mais, attention, Anselme est bien trop curieux et iconoclaste pour se laisser enfermer dans quelque dogme que ce soit : il cherche, il expérimente, il corrige et ajuste inlassablement…
Au fil des années, il révolutionna ainsi bien des pratiques en Champagne, décidant de vinifier séparément chaque parcelle (près de 50 sur les 8 petits hectares que compte aujourd’hui le domaine), d’utiliser pour cela des fûts bourguignons pour le relief qu’ils donnent au vin et cette oxydation ménagée qu’ils permettent (une des signatures des champagnes Selosse). Mais aussi et avant tout, de veiller à ne cueillir les raisins qu’à leur pleine maturité, ce moment où ils seront capables de livrer leur message dans toute sa plénitude : une véritable petite révolution dans cette région où la norme consistait plutôt à vendanger en sous-maturité au nom d’une supposée fraîcheur apportée par l’acidité, elle-même masquée par les liqueurs de dosage…
Au final, la meilleure solution pour tenter d’approcher la vérité des Selosse, c’est évidemment de goûter leurs vins. Pas facile bien sûr, tant la petite production du Domaine (un peu plus de 50 000 bouteilles) s’arrache dans le monde entier… Mais lorsqu’on a la chance d’y accéder, alors on vit une expérience différente du champagne, tant les vins entrent ici en résonnance avec leur terroir et le style inimitable d’un vigneron, tant ils nous emportent sur une voie à la fois cérébrale et sensuelle, tant ils sont rayonnants et profonds. Bref, dans la vie de l’amateur de grands vins, il y a clairement un « avant » et un « après » Selosse…